ARTUR PASTOR 1922-1999|Discussion libre|Forum|Fotoloco
7 juillet 2015
ARTUR PASTOR (1922-1999) : la diagonale et la règle.
Artur Pastor est le plus célèbre des photographes portugais et certainement le plus prolifique, mais il ne s’agit pas ici de faire sa biographie.
Pastor était employé du ministère de l’agriculture sous Salazar (l’Estado Novo) et, comme tous les photographes Å“uvrant sous un régime totalitaire, son contrat était simple : exalter les vertus nationales (Travail, Famille, Patrie, pour aller vite), ça c’était la règle et Pastor s’y est souvent plié ; il faut bien dire, pour être honnête, que certaines de ses photos ont une esthétique très « soviétisante » qui devait beaucoup plaire aux censeurs de l’époque, c’était le prix à payer. Mais pour le reste…ce rusé bonhomme a donné à ses photos de commande une inflexion qui donnait une impression tout à fait contraire au cahier des charges et pour cela il a utilisé (entre autres)la diagonale.
Un exemple :
Une photo de « régime »: on aurait la même sous Staline, Mao, Pétain etc. Le vaillant semeur affronte courageusement l’immensité du champ et grâce à lui la récolte sera florissante et le pays renaîtra, tralala, on connaît le discours.
Mais ici, où est la glorieuse existence des pêcheurs ? La contre-plongée exalte le personnage, c’est vrai, mais le discours est tout autre : on voit une femme peinant sur une corde qui part du haut (le pouvoir?) et qui s’en va vers…rien. Elle tire pour tirer parce que c’est sa place d’esclave et son compagnon de misère n’est qu’un vieil homme usé. Où est le glorieux Portugal renaissant ?
Dernier exemple : sans doute lui a-t-on demandé de montrer la jeunesse, avenir plein d’espoir et voici ce qu’il a montré ; toute la construction de la photo (horizontale pour le coup) est là pour « écraser » le sujet : le jeune homme est là aussi lié à son destin, harassé à tirer du vide (Pastor, finement, ne montre jamais le bateau) et tous les personnages, bloqués au pied de l’image, sont écrasés par la masse nuageuse qui là encore représente le pouvoir.
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Il y aurait encore tant à dire sur Pastor (je pense à son formidable travail sur l’Algarve en 1965), mais j’ai juste voulu ici dire que si on vous parle d’un photographe, d’un peintre ou d’un cinéaste « officiel », ne passez pas trop vite en pensant « Bof, collabo », cherchez dans son travail, le grain de sable, le clin d’œil, le contre-langage : soyez curieux, partout, tout le temps.
21 novembre 2015
Merci pour ce partage, je ne connaissais pas…
Je vais prendre le temps de mieux le connaître à -travers le site qui lui est consacré:
Une belle science du cadrage, le plus souvent au format carré (Rolleiflex?)
7 juillet 2015
Oui essentiellement au Rollei, puis Mamiya C33 et en toute fin de carrière Nikon F90x. Il existe une abondante littérature sur lui mais je ne pratique malheureusement pas le portugais. Je cherche désespérément une de ses monographies dans les foires au livre, mais pour l’instant chou blanc.
Pour te donner encore plus envie, une photo extraite de « O Algarve ». Ne dirait-on pas du Chirico ?
Peut-être qu’un jour je parlerai d’Herbert List, un très très grand des années trente.